Rachid Benzine est une figure de l’islam libéral. Philosophe, essayiste, et islamologue franco-marocain, M. Benzine est l’auteur de « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? », un roman où la question du Djihad fait l’objet d’un dialogue entre un père et sa fille. Nous l’avons rencontré en marge de sa participation à la première université d’été de la jeunesse du RNI, tenue du 8 au 10 septembre et où il a encadré un débat sous le thème « Idéologie politique, entre identité et valeurs humaines ». Dans cette interview, M. Benzine nous livre sa lecture du radicalisme islamiste, de la dimension religieuse comme argument dans l’exercice politique, sans omettre d’adresser de précieux conseils aux jeunes marocains.
Aujourd’hui, il faut le reconnaître, les jeunes marocains, tout comme ceux d’origines marocaines sont malheureusement parmi les plus embobinés par les doctrines intégristes. Où se situe l’origine du mal et comment s’y attaquer ?
Ce mal est mondial et ce n’est certainement pas le cas du Marocuniquement. On voit bien qu’aujourd’hui-même les pays européens sont exportateurs de ces terroristes. Il y a l’espace maghrébin qui est touché également, pour différentes raisons. La prédominance des jeunes d’origine marocaine parmi ces intégristes s’explique par leur présence migratoire, qui est la plus forte en Europe. Il faut absolument tenir compte de ça. Ces terroristes sont à la fois des produits européens, beaucoup d’entre eux sont nés ou ont grandi là bas, notamment en ce qui concerne la France et la Belgique.
Cela dit, le mal n’a pas d’origine. Il existe aujourd’hui un malaise très fort au niveau de nos jeunes. Daech arrive à capter ce malaise en leur proposant une utopie, une espérance et surtout en jouant sur la question de l’humiliation. Dans mon dernier roman « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir », l’héroïne, qui s’appelle Nour, dit un moment à son père : « On peut réparer une injustice mais on ne guérit pas d’une humiliation ».
En quoi se manifeste cette « humiliation » chez la jeunesse ?
Il faut comprendre l’offre de Daech pour comprendre pourquoi un certain nombre de jeunes peut être attiré par cette idéologie. Daech offre quatre rêves. Le premier rêve est celui de l’unité du monde musulman à travers le Califat (versus la démocratie). On fait appel donc à l’imaginaire et à un passé qui était glorieux dans l’imaginaire de beaucoup de gens, alors que la réalité est beaucoup plus complexe. Dans la notion de la Oumma il y a l’idée d’une revanche ; à savoir rétablir les frontières d’avant la colonisation. Le deuxième rêve est celui de la dignité. Beaucoup de jeunes sont dans le ressentiment et l’humiliation compte tenu de ce que vit le monde musulman : l’Iraq, la Palestine, les Rohingyas birmans,etc. Lorsque la coalition internationale n’apaise pas ces foyers-là, ces jeunes le ressentent comme de l’humiliation. Le troisième rêve est celui de la pureté. On est dans un monde qui devient de plus en pus binaire ; il y a le « eux » et le « nous ». Et puis il y a le rêve du salut. Beaucoup de jeunes, faute de donner un sens à leur vie, vont chercher à donner un sens à leur mort.
Lors de votre rencontre avec des jeunes dans le cadre de la première université d’été de la jeunesse du RNI, vous avez évoqué le manque de confiance qu’ils ont aujourd’hui en l’exercice politique et l’avez directement lié à un manque de confiance en soi. Pourriez-vous expliquer davantage ?
Il y a aujourd’hui une défiance vis-à-vis du monde politique et tout ce qui relève de la verticalité. Ce n’est pas simplement le cas du Maroc mais c’est général. On est dans une espèce de mutation du monde. Il ne s’agit plus de crise mais de mutation. Nous rentrons dans un nouveau monde sans avoir les outils pour le penser et agir. Beaucoup de jeunes et moins jeunes se laissent donc complètement aller en se disant que c’est la faute de l’autre. J’ai l’impression que beaucoup de jeunes n’ont plus confiance dans leur capacité d’agir, de contester, d’émanciper, d’agir ni d’offrir une alternative. Tant que vous êtes dans le discours et la contestation vous pouvez mobiliser. Mais lorsque vous êtes dans l’action, vous allez vous rendre compte que vous avez affaire à des enjeux de pouvoirs et à des compromis. Peu de gens voudraient se frotter au terrain de l’action parce qu’il y a beaucoup d’illusions qui risquent d’y tomber. Il est important que les jeunes retrouvent leur confiance en eux parce que seul un individu qui a confiance en lui peut agir dans le monde.
Est-ce qu’il y a un risque à l’exploitation de la dimension religieuse comme argument dans l’exercice politique ?
Dans « Le Contrat Social », Rousseau montre les différentes articulations entre le politique et le religieux. Il finit par dire qu’il n’y a pas de bonnes solutions. C’est à chaque pays de trouver la bonne articulation. Pour pouvoir le faire il faut bien les distinguer. Mais à partir du moment où vous avez une population dont l’imaginaire est religieux vous ne pouvez pas agir comme si vous étiez dans un espace laïque. La question à poser est la suivante : Quelles sont les fonctions que remplit aujourd’hui le religieux ? Pour moi qui suis né dans les années 70’ ici au Maroc, la fonction du religieux ces années-là n’a absolument rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Comme l’explique Mohamed Arkoun, le religieux remplit trois fonctions. C’est un refuge identitaire pour beaucoup de gens qui ne se définissent plus que par leur religion. C’est également une source d’espérance pour certains. Et c’est cette idée d’une force divine qui leur permet de vivre au quotidien. Dans d’autres cas, le religieux est devenu un tremplin politique pour un certain nombre de partis est c’est là où cela devient dangereux. Il faut absolument redéfinir le politique et le religieux. C’est une question fragile et il est primordial de toujours trouver la bonne dose entre ces deux éléments. Ce n’est jamais défini une fois pour toute il faut constamment s’y pencher en fonctions des enjeux de la société.